CAMILLE LEMONNIER
ROMAN
PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES
LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF
50, CHAUSSÉE D’ANTIN, 50
1900
Tous droits réservés
ŒUVRES DE CAMILLE LEMONNIER
ROMANS ET NOUVELLES
Un Coin de Village. — Un Mâle. — Le Mort. — ThérèseMonique. — L’Hystérique. — Happe-Chair. — Ceuxde la glèbe. — Noëls Flamands. — Madame Lupar. — LePossédé. — Dames de Volupté. — La Fin desBourgeois. — Claudine Lamour. — Le Bestiaire. — L’Arche. — L’IroniqueAmour. — L’Ile vierge. — L’Hommeen Amour. — La Vie Secrète. — Adam etEve.
CONTES POUR LES ENFANTS
Bébés et Joujoux. — Histoires de huit Bêtes et unePoupée. — La Comédie des Jouets. — Les Jouets parlants.
CRITIQUES D’ART
Gustave Courbet et son Œuvre. — Mes Médailles. — Histoiredes Beaux-Arts en Belgique. — En Allemagne. — LesPeintres de la Vie.
DIVERS
Les Charniers.
La Belgique.
THÉATRE
Un Mâle, 4 actes, en collaboration avec A. Barbier et J. Dubois.
Le Mort. — Les Mains. — Les Yeux qui ont vu.
Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays,y compris la Suède et la Norvège.
S’adresser, pour traiter, à la Librairie Paul Ollendorff, 50, Chaussée d’Antin, Paris.
Il a été tiré à part dix exemplaires sur papier deHollande numérotés à la presse.
Je ne savais pas exactement quel âge j’avais :personne ne m’avait appris à compter lesannées ; et elle-même ne parvenait pas à dépasserle chiffre dix quand on lui demandaitle sien.
Je lui dis donc : « Quel âge as-tu ? » C’étaitla première fois. Elle me répondit comme àtout le monde :
— J’ai dix ans.
La terre, pour elle, avait dix ans commesa propre vie et la vie de toutes les choses autourd’elle. Une mère n’avait pas marqué surle mur par de petites lignes le degré de sacroissance en comptant : Un, trois, cinq,sept, et ainsi de suite jusqu’à l’âge qu’elleavait maintenant. Il n’y avait à l’horizon deses jours que d’horribles visages de misère etpersonne ne lui avait donné le nom familial.
Elle me dit : « Dix ans » ; et je me mis àrire, car moi, du moins, je pouvais compterjusqu’à cent. Il m’était arrivé de possédercent cerises ou cent noix, au temps de mesmaraudes dans les vergers. Ensuite, toujoursil était venu un homme armé d’une fourcheou un gros chien qui m’avait mis en fuite.
Je l’appuyai contre le tronc d’un arbre etavec une pierre tranchante, je marquai l’endroitqu’atteignait la plus grande hauteurde sa tête. Puis je lui passai la pierre et àmon tour je me plaçai contre l’arbre en luidisant :
— Fais pour moi une marque dans l’écorcecomme je l’ai fait pour toi.
Alors seulement je me retournai et je visqu’elle était plus petite que moi de près d’unemain. J’étais content qu’il y eût entre nouscette différence.
— Vois, lui dis-je, tu ne vas que jusque-làet moi j’atteins presque à cette branche. Jesuis aussi plus fort que toi, j’ai des doigtsplus durs. Je suis donc ton aîné de plusieursannées.
Et nous nous parlions comme un frère etune sœur. Elle me regard