Supplément de ce numéro: LE PATINAGE A PARIS,
gravure hors texte de double page.
A SAINT-PÉTERSBOURG: L'ENTERREMENT D'UNE VICTIME DU 22 JANVIER
Photographie de notre envoyé spécial.--Voir l'article, page 68.
Lundi, trois heures. A l'Académie des sciences. De chaque côté dutableau noir, au long d'un grand mur nu, s'alignent deux banquettes où,serrés les uns contre les autres, de vieux messieurs somnolents, dejeunes hommes à mine grave, la serviette posée sur les genoux, écoutent,prennent des notes ou bâillent; c'est le public. Je me suis glissée aumilieu d'eux. A la tribune où siège le «bureau», trois hommes chauvesremuent des paperasses ou bavardent à demi-voix. Et, devant les pupitresbas disposés autour de cette chaire, une cinquantaine de personnagessont assis, dialoguant tout bas d'un fauteuil à l'autre ou muets;--maisvisiblement indifférents au bruit de la parole qu'on entend couler,tomber, monotone, dans le silence de l'assemblée, comme un ruisselet desource dans une pièce d'eau.
L'homme qui parle est debout, le buste serré dans la redingote, et tientdes papiers à la main. D'une voix paisible, unie, qui zézaye un peu, illit le récit d'observations qu'il a faites au cours d'un récent voyageen mer. Je le reconnais. C'est un chef d'État: Son Altesse Royale AlbertIer, de Monaco. Et je me rappelle, en l'écoutant, l'impression desurprise amusée que je rapportai, il y a deux mois, d'une soirée où jevis ce prince pour la première fois.
C'était rue des Saints-Pères, dans une façon de petit templesimili-romain, où l'Académie de médecine autrefois tenait ses séances.Nous étions là quatre ou cinq cents badauds des deux sexes qui nousentassions devant l'estrade où devait être faite, par le princelui-même, la leçon d'ouverture d'un cours d'Océanographie créé par lui àParis. C'est même à cette occasion que j'appris que la «science de lamer», inventée il y a deux siècles par les Français, n'est aujourd'huinégligée qu'en France. On l'enseigne dans une ville seulement, et cetteville n'est point un port de mer: c'est Nancy,--une des localités lesplus éloignées qu'il y ait, dans tout le territoire, des trois mers quile bordent... Les Français ont de ces distractions.
Le prince de Monaco, qui est généreux, s'est offert le luxe de réparercelle-ci au profit d'un pays qu'il aime et d'une science dont il a lapassion. Il a doté Paris d'une chaire qui lui manquait. Et il l'a faitavec une simplicité charmante Debout, la baguette à la main, devant legrand panneau de toile blanche où se succédaient les «projections», leprince parlait, comme aujourd'hui, d'une voix un peu terne et zézayante,sans souci d'être éloquent ou d'amuser, mais seulement préoccupé de nousinstruire. Et tout au plus, à certains menus indices, eût-on pureconnaître que ce professeur-là n'était pas de la même condition queles autres... On sentait dans son altitude et même en certaines façonsde s'exprimer, je ne sais quoi d'imperceptiblement «distant», un mélangesingulier de timidité et de hauteur. Il entra, sortit sans presquesaluer, et ne s'entretint qu'«à la troisième personne» avec sesauditeurs: «