ÉDITION DÉFINITIVE D’APRÈS LES MANUSCRITS ORIGINAUX
IV
L’ÉDUCATION SENTIMENTALE
II
PARIS
A. QUANTIN, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
RUE SAINT-BENOIT, 7
1885
TOUS DROITS RÉSERVÉS
DEUXIÈME PARTIE
(SUITE)
La Maréchale était prête et l’attendait.
«C’est gentil, cela!» dit-elle, en fixant sur lui ses jolis yeux, à lafois tendres et gais.
Quand elle eut fait le nœud de sa capote, elle s’assit sur le divanet resta silencieuse.
«Partons-nous?» dit Frédéric.
Elle regarda la pendule.
«Oh! non! pas avant une heure et demie», comme si elle eût posé enelle-même cette limite à son incertitude.
Enfin l’heure ayant sonné:
«Eh bien, andiamo, caro mio!»
Et elle donna un dernier tour à ses bandeaux, fit des recommandations àDelphine.
«Madame revient dîner?
—Pourquoi donc? Nous dînerons ensemble quelque part, au café Anglais,où vous voudrez.
—Soit!»
Ses petits chiens jappaient autour d’elle.
«On peut les emmener, n’est-ce pas?»
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Frédéric les porta lui-même jusqu’à la voiture. C’était une berline delouage avec deux chevaux de poste et un postillon; il avait mis sur lesiège de derrière son domestique. La Maréchale parut satisfaite de sesprévenances, puis, dès qu’elle fut assise, lui demanda s’il avait étéchez Arnoux, dernièrement.
«Pas depuis un mois, dit Frédéric.
—Moi, je l’ai rencontré avant-hier, il serait même venu aujourd’hui.Mais il a toute sorte d’embarras, encore un procès, je ne sais quoi.Quel drôle d’homme!
—Oui, très drôle!»
Frédéric ajouta d’un air indifférent:
«A propos, voyez-vous toujours... comment donc l’appelez-vous?... cetancien chanteur..., Delmar?»
Elle répliqua sèchement:
«Non! c’est fini.»
Ainsi leur rupture était certaine. Frédéric en conçut de l’espoir.
Ils descendirent au pas le quartier Bréda; les rues, à cause dudimanche, étaient désertes, et des figures de bourgeois apparaissaientderrière des fenêtres. La voiture prit un train plus rapide; le bruitdes roues faisait se retourner les passants, le cuir de la capoterabattue brillait, le domestique se cambrait la taille, et les deuxhavanais l’un près de l’autre semblaient deux manchons d’hermineposés sur les coussins. Frédéric se laissait aller au bercement dessoupentes. La Maréchale tournait la tête, à droite et à gauche, ensouriant.
Son chapeau de paille nacrée avait une garniture 3 de dentellenoire. Le capuchon de son burnous flottait au vent; et elle s’abritaitdu soleil sous